« NO EN MI NOMBRE » du Colectivo Alternance Théâtre
Par Daniella Girardi Silva, 10 juillet 2024

Le poids des origines
Date de la représentation : 5 juillet 2024. Date de la critique : 7 juillet 2024.
Lieu de la représentation : Centre Culturel Matucana 100 (Santiago du Chili)
On dit qu’il n’y a pas de meilleure façon de se connaître que de savoir d’où l’on vient, mais que se passe-t-il si ce que nous pensions connaître, si ces certitudes qui ont façonné notre enfance, se désagrègent un jour et nous brisent complètement ? Pouvons-nous rester la même personne ? Cette personne que nous croyons être existe-t-elle réellement ?
Ce sont là quelques-unes des questions soulevées par la pièce « No en mi nombre », un travail d’investigation et de création basé sur les témoignages de fils et filles de membres des forces de répression des dictatures de Jorge Rafael Videla en Argentine et d’Augusto Pinochet au Chili.
Ainsi, le Colectivo Alternance Théâtre, créé par l’artiste chilienne Claudia Saldivia Vega, qui dirige également la pièce, raconte les histoires des victimes d’une violence héritée : des fils et des filles d’hommes qui semblaient être de bons pères de famille, racontant des histoires avant de dormir, mais qui, en même temps, commettaient les actes les plus atroces « au nom de la patrie ».
Dans la mise en scène, ce que nous voyons d’abord, lorsque les lumières s’allument, ce sont des mannequins sans visage, présents tout au long de la pièce, comme s’ils accompagnaient constamment ces hommes et ces femmes qui, sans le vouloir, portent le fardeau d’êtres humains réduits à des corps, à des objets, par leurs parents.
Les interprètes apparaissent avec des masques couvrant entièrement leur visage. Cela pourrait symboliser la honte liée à leur identité – qui ils sont et d’où ils viennent – mais c’est aussi une représentation de la résistance et de la désobéissance – une « capuche » – face à tout ce qui est imposé : la religion, la morale, la société, la politique, et surtout cette famille forcée par les liens du sang.
Les témoignages de ces fils et filles sont uniques, mais ils sont aussi collectifs. En les verbalisant, en les rendant publics – ce que leurs parents n’ont jamais fait –, ils peuvent rompre ces liens et se réinventer, se redécouvrir en tant qu’individus distincts de ceux qui les ont engendrés. Ainsi, chaque masque qui les couvre peut non seulement être différent, mais aussi coloré et éclatant.
Les voix que l’on entend tout au long de la pièce interrogent sans cesse la figure paternelle et le poids de porter un nom lié à la torture, aux assassinats et aux disparitions de personnes. Parmi ce chœur de voix, les témoignages réels d’Analía Kalinec, Patricia Pienovi, et Erika Lederer se distinguent, avec une écriture signée par la dramaturge Leyla Selman et le réalisateur Roberto Baeza, remplie d’images belles dans leur désolation, comme l’idée d’une mer qui se dessèche pour devenir un désert, ou d’une petite fille grimpant dans un arbre pour échapper à l’ombre de son père.
La musique joue également un rôle central dans « No en mi nombre », accompagnant de nombreuses scènes et servant de mécanisme pour exprimer les émotions les plus profondes et les plus douloureuses. Mais pas seulement. Il y a un moment où la musique cède la place aux symbolismes les plus horrifiants qui nous ont marqués en tant que nation, comme ce vers de l’hymne national chilien – omis après le retour de la démocratie – que les acteurs et actrices proclament sur scène, non seulement pour son sens évident, mais aussi pour rappeler que la douleur persiste et se transmet de génération en génération :
« Vos noms, vaillants soldats, qui avez été le soutien du Chili, nos poitrines les portent gravés ; nos enfants les connaîtront aussi ».